top of page

C. D’Amboise, F. Lacelle, L. St-Jean, M. Trottier

          Milieu autrefois agricole et naturel, la ville de Lévis se développe par fragment en s'étalant vers la campagne. Le secteur étudié brille par la forte présence d’artères commerciales faisant de ce secteur «un milieu anthropique hautement artificialisé» (L’Hébreux, 2010 : 8), caractéristique de plusieurs autres municipalités québécoises. Caractérisé par un amalgame de tissus hétérogènes, le développement s’est fait principalement en deux phases et selon deux logiques: l’une piétonne et l’autre automobile. La lecture diachronique de l’expansion a révélé le tracé du boulevard de la Rive-Sud comme limite forte et persistante entre ces deux logiques, et l’autoroute Jean-Lesage comme génératrice du second débordement. 

Fortification invisible, limite tangible 

 

          Par sa position stratégique par rapport à Québec, Lévis était historiquement le lieu de prédilection pour la défense militaire contre l’invasion américaine du sud, qui jamais n’arriva. Entre 1865 et 1872, trois forts furent érigés sur les hauteurs naturelles de Lévis qui offraient «à la fois un flanquement mutuel adéquat et une domination sur le fleuve et les campagnes environnantes» (Cloutier, 2002, cité dans Turgeon, 2007 : 31). Cloutier, 2002 : 8). Une bande de protection non constructible a d’ailleurs été dégagée entre les forts, agissant tel un rempart invisible. Cette ancienne limite d’«urbanisation» a longtemps contenu le développement de la ville au nord.

 

         À cet endroit, le lotissement résultant du découpage des terres agricoles du régime seigneurial français présente un tissu dense et des tracés viaires perméables. Les forts ont marqué le paysage jusqu’en 1949, alors même que le Canada cédait ses terrains à la nouvelle «cité» de Lévis. Le terrain du fort no.2 est alors devenu possession du club de golf de Lévis, qui l’utilisait déjà depuis 1923. 

Un transit est-ouest, une frontière nord-sud

 

          Cette limite reliant les trois points hauts de la ville a persisté et s’est matérialisée avec le prolongement vers l’ouest du sentier traversant les trois forts, qui deviendra le boulevard de la Rive-Sud vers 1950. Un rond-point a alors été aménagé à l’intersection des deux routes les plus importantes du secteur, le boulevard de la Rive-Sud, connectant Lévis d’est en ouest, et la route du Président-Kennedy, reliant la Rive-Sud aux États-Unis. Le rond-point génèreoccasionne dès lors un pôle important, générateur d’activités commerciales.

 

          En parallèle, le développement résidentiel se poursuit suivant l’empreinte des terres agricoles, principalement en continuité avec les tissus existants, mais ne dépassant jamais la limite qu’est devenue le boulevard de la rive-sud.

HABILLE LES VIDES

 

C’est en combinant nos constats sur la nature et la composition des vides et des limites de cette partie du territoire de l’arrondissement Desjardins que ressort leur potentiel d' « agents unificateurs » entre les différents types de tissus. Deux grandes catégories de vides se distinguent de l’analyse : les vides à l’échelle urbaine, ayant un fort potentiel pour raccorder les tissus, et les vides à l’échelle des tissus mêmes, permettant éventuellement de densifier et de rendre perméables les limites. Les premiers vides correspondent aux différentes friches ferroviaires, électriques et hydrographiques et les vides résiduels sont les interstices entre les fragments de tissus qui ne sont pas reliés. Les seconds vides varient selon les tissus, pouvant parfois être des vides «habités» au sein de tissus résidentiels, des friches commerciales, des étendues vertes. 

Tire la couverte : kit de réparation

 

Tire la couverte propose une vision d’aménagement urbain fondée sur une densification et diversification du tissu existant monofonctionnel et auto-dépendant, afin de permettre la consolidation d’une «banlieue urbaine» pour en faire un milieu de vie équilibré, mixte et marchable, milieu de vie qui sera de plus en plus convoité dans les prochaines années.

 

En se basant sur le Sprawl Repair Manual (2009), Tire la couverte propose différentes stratégies pour habiller les vides pour en faire des nouvelles connections agréables encourageant les mobilité douces, créer des «third places» lieux de rencontres recherchés par plusieurs générations et des lieux de ressourcement écologiques et d’agriculture urbaine.  

 

Les réparations proposées sont entre autres l’implantation de bâti sur front de rue, l’ajout de stationnement sur rue afin d’utiliser les aires de stationnement à d’autres fin (densification, création de place publique), l’ajout d’une mixité d’usages dont des commerces de proximités, et l’implantation de nouveau mode de déplacements sécuritaire (transport en commun, vélo, piéton).

 

Bref, Tire la couverte brise la limite épaisse grise entre Kennedy et Desjardins, connecte les tissus entre eux, fractionne les grosses parcelles pour permettre une meilleure perméabilité et répare les intersections et les voies de circulation, dont le design est spécifiquement pensé pour une circulation automobile efficace et rapide, pour en faire des lieux multimodaux, identitaires et porteurs d’espaces publics. Que le piéton reprenne sa place.

Sur quels vides peut-on agir?

 

Comme les vides associés au secteur résidentiel correspondent à des terrains privés et sont peu modifiables après leur édification, une piste réside dans la manière d’encadrer le développement résidentiel. À Lévis, le développement de formes urbaines de type campus semble compromettre, voire empêcher, le processus «naturel» de densification et de diversification des tissus existants, c’est-à-dire la construction de la ville sur la ville. Cette logique d’évolution associée aux stratégies des promoteurs et des grands propriétaires fonciers mène à du développement sur de très grands îlots mal connectés entre eux ou avec les tissus existants et dont les trames de rues sont en boucles. Ces grandes mailles se juxtaposent les unes aux autres et contribuent à l'épaississement des limites existantes. Les vides au sein de ces tissus souvent monofonctionnels – bureaux, institutions et commerces de grande surface –, sont des lieux propices d’interventions puisqu’il sont localisés pour la plupart aux frontières des limites identifiées. 

Bibliographie

                  

Cloutier, P. (2002) Le Fort No.3 de Lévis : un oublié à redécouvrir  Étude des composantes

archéologiques du projet de construction du Carrefour de la nouvelle économie de Lévis. Québec : Parcs

Canada.

 

Dunham-Jones, E., & Williamson, J. (2009). Retrofitting Suburbia : Urban design solutions for redesigning suburbs. New Jersey : John Wiley & Sons, Inc.

 

L’Hébreux, M. (2010). Biodiversité urbaine : Requalification durable d’une artère commerciale à l’entrée de Lévis. Essai (projet), École d’architecture, ULaval.

 

Lynch, K. (1999). L’image de la Cité. Paris : Dunod.

 

Mangin, D. (2004).  La ville franchisée : Forme et structures de la ville contemporaine.  Paris : Éditions de la Villette.

 

Tachieva, G. (2010). Sprawl Repair Manual. Island Press.

 

Turgeon, M. (2007) Un parc récréatif urbain sur une friche militaire et industrielle à Lévis : vecteur d’une identité collective. Essai (projet), École d’architecture, ULaval.

La «strip», nouvelle limite

 

L’avènement de l’autoroute 20 dans les années 1970 marque le franchissement de la limite du boulevard de la Rive-Sud, passage s’accompagnant d’un important changement d’échelle et d’acteurs. L'expansion vers le sud suit une logique d’auto-dépendance. Nouvelle entrée de la ville depuis l’autoroute, la route du Président-Kennedy se déploie comme une artère commerciale pensée et conçue pour la voiture, amenant avec elle son lot de très grandes parcelles, de stationnements en façades et de magasins grandes surfaces saupoudrés de part et d’autre. La «strip» se transforme en une limite est-ouest dans le paysage «pour former un environnement quasi exclusivement artificiel qui nie la biodiversité héritée de ce milieu» (L’Hébreux, 2010 : 6).

 

L’apparition d’enclaves résidentielles en marge, voire «en arrière», de ce nouveau pôle commercial étendu marque une rupture avec les développements antérieurs. Les nouveaux tissus résidentiels possèdent leurs propres logiques de découpage du parcellaire et de tracés de rues, souvent peu perméables et généralement de faible densité. Le boulevard de la Rive-Sud marque physiquement l’altérité de ces deux types d’implantation résidentielle.

 

Cette nouvelle logique de développement «auto-dépendant» s’étend au parcours fondateur de la 132 qui devient, lui aussi, un boulevard commercial accentuant l’effet de cisaillement nord-sud. Le fort no.2 est démoli en 1965 pour faire place au siège social de Desjardins Assurances générales. À son tour, le fort no.3 se transforme en usine de béton, aujourd’hui fermée. 

L’épaississement de la limite grise est-ouest

 

L’attrait autoroutier a engendré la prolifération de grandes unités de développement le long de la «strip» commerciale, suivant les aspirations de quelques grands acteurs économiques. Aujourd’hui, ces développements s'étalent de la route du Président-Kennedy jusqu’au boulevard Desjardins par un paysage inondé de zones «grises», parsemé de fragment de friche, créant un «no man’s land» entre les deux boulevards. L’implantation de nouveaux pôles éducatifs (UQAR) et d’affaires (Cité Desjardins) à l’est du boulevard Desjardins contribue à disperser l’intensité, autrefois concentrée le long de la route du Président-Kennedy, épaississant ainsi la limite grise E

est-ouest.

 

Autre nouveau «no man’s land», le développement Miscéo, intimement lié à la proximité des sorties de l’autoroute 20, s’apparente à un nouveau pôle de service au regard de son emplacement stratégique sur le territoire «métropolitain» de Lévis. Cependant, ce pôle reste déconnecté des pôles existants en vertu d’une logique de développement sensiblement identique à celle des strips commerciales d’après-guerre, mais sous une  forme différente. Il induit également des développements résidentiels peu connectés au reste de la ville qui s’implantent à l’est du boulevard Desjardins. 

2040, qu’adviendra-t-il?

 

Qu’adviendra-t-il en 2040 si cette logique du «tout à l’auto» continue de dicter le développement? Une urbanisation diffuse et fragmentée continue de repousser toujours plus loin les terres agricoles, alimente les effets négatifs d’ilot de chaleur,  décourage les choix de mobilités douces. Les limites persistent et leur découpage en immenses unités grises «atomise[nt] la pratique quotidienne de la ville» (Mangin, 2004 : 99). Comment requalifier ces limites? Pourquoi ne pas commencer à occuper les vides avant d’en créer d’autres?

TIRE LA COUVERTE

habille ton vide

bottom of page